vendredi 27 janvier 2012

La femme dans le miroir - Thanh-Van Tran-Nhut


Edition Robert Laffont, 2010 - Pocket, 2011.

Com
ment une femme du XVIIe siècle a-t-elle pu servir de modèle à un peintre du XXe ? C’est la question que se pose Adrien, hanté par la mort récente de sa femme, en reconnaissant sur une toile contemporaine le visage qui se reflète dans le miroir d’une vanité peinte trois siècles plus tôt. D’où vient que cette beauté a traversé le temps comme si des artistes n’avaient jamais cessé de l’aimer ? Devenu malgré lui l’acteur d’une aventure née sous le pinceau d’un maître hollandais, il entreprend une inquiétante enquête où l’histoire des pigments et la magie des alchimistes l’entraînent hors du domaine de la raison et lui ouvrent des portes inattendues. Aidé par un chercheur lunatique et un thanatopracteur savant, il plonge dans les mystères des passions amoureuses peut-être aussi subtils que ceux de la pierre philosophale, promesse de longue vie. Mais sur le point de percer le secret des tableaux, il comprend soudain que rien dans cette histoire n’est dû au hasard et que les véritables enjeux de cette énigme dépassent le fantasme d’un idéal de beauté.

***

"Il y a des jours où nous croyons de tout notre être à la persécution divine ou à la malédiction des astres, comme s'il fallait un esprit malintentionné pour justifier l'infortune qui nous frappe."

  Comme souvent lorsque je sors d'une lecture qui m'a vraiment captivé, j'éprouve quelques difficultés à aller mettre le nez dans autre choses : comme un parfum dont il subsiste une trace dans l'ether et que je cherche à retrouver, je me mets en quête d'un récit présentant des codes similaires. Ce sentiment se présenta justement l'an dernier, alors que je refermais la dernière page des Voleurs de Cygnes: ma PAL (Pile A Lire) avait beau atteindre des hauteurs astronomiques, elle ne contenait rien qui puisse me satisfaire en terme d' "énigme artistique". Je suis donc parti en quête du roman qui comblerait mes envies et, au détour d'un rayon, suis tombé sur La femme dans le miroir. Bien que plutôt court, c'est là un magnifique roman, sombre, étrange, et envoutant.


"Un être qui savait se servir des hommes, anticipant leurs désirs pour mieux les conduire là où elle le souhaitait. Sa beauté vénéneuse constituait un piège plus implacable que le plus subtil des nectars."

  Je me garderai d'en rajouter au synopsis de l'éditeur, afin de ne pas gâcher le plaisir de la découverte au potentiel lecteur, mais toujours est-il que cette auteure jusqu'ici totalement vouée aux romans policiers se situant dans l'Asie médiéval opère un tournant brillamment réussi. Certains éléments pourraient paraître classiques, mais on les découvre très rapidement reliés de manière on ne peut plus originale, le tout porté dans une atmosphère à la fois pesante et ensorcelante de culture et de mysticisme.
  L'écriture est l'autre grande force de ce livre : la narration faite par Adrien fait passer le lecteur par les mêmes états émotionnels que son personnage, tant le style est évocateur : poésie et mélancolie morbide dans la phase de deuil, reclus chez lui, puis sorte de folie effrénée lorsqu'on l'accompagne avec une passion quasi-sauvage dans l'enquête au centre du récit : la recherche de ce même modèle peint à 300 ans d'écart.
  Planant et obsédant.


"Pour un historien, chaque document des archives équivalait à un embarquement immédiat. Les comptes rendus de voyages, les tracés de routes maritimes, les registres des administrations civiles, tout cela embaumait du parfum de l'aventure, des senteurs d'épices, de clou de girofle et de cannelle. Les avis de naufrage avaient la moiteur des moussons et le goût de sel, les listes de marchandises bruissaient du froissement d'étoffes et des murmures de la soie."

  Au fur et à mesure que l'enquête d'Adrien progresse, le lecteur se sent possédé au même titre que lui par ce mystère, et le désir de vérité qu'il suscite ne fait que redoubler page après page. On se sent nous aussi tomber dans une spirale infernale, emprunte de légendes alchimiques et teintée de sciences occultes qui, bien qu'au-delà de toute forme de raison et de réalité, sont présentées à nos yeux avec une logique diabolique tellement implacable que nos certitudes en seraient presque ébranlées. Ce roman est un chef-d'œuvre qui tient le lecteur en haleine jusqu'à son dénouement, troublant et déroutant.
" Elle ne saisit pas l'acuité du désir qui embrase quand il est inassouvi et qui anéantit quand il est exaucé."

 En bref : un conte morbide et superbe ou l'Art se mêle à l'Alchimie dans une quête amoureuse obsédante, le tout porté par une écriture captivante.


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